Au moment de dire au revoir à René, je suis tiraillé entre deux exigences : d’un côté, dire l’énorme dette que j’ai personnellement et que les Unions de quartier ont collectivement à l’égard de son dévouement et de son courage ; et, d’un autre côté, je sais qu’il aurait été gêné que j’en parle et aurait vite dit : « c’était tout naturel, passons aux choses sérieuses. »
René a été emblématique de ce pilier de la vie sociale grenobloise, constitué de milliers de personnes qui, le jour de leur retraite, mettent bénévolement leurs compétences, leur capacité de travail au service de leurs concitoyens ; au service, dans une et parfois plusieurs associations, d’une action collective pour le bien-être de leurs semblables.
Au Comité de liaison des Unions de quartier, René a d’abord représenté son Union de quartier Exposition-Bajatière, puis il a très vite pris des responsabilités, qu’il assumait à fond, à divers échelons du Bureau, jusqu’à être notre Président de 1993 à 1996. J’ai apprécié son constant souci d’agir méthodiquement et efficacement : il n’était pas dans les associations d’habitants pour un ronchonnement systématique ou pour soutenir un parti politique, mais pour que les citoyens voient plus clair dans leurs intérêts et agissent aussi concrètement que possible.
De son énorme contribution à la vie du CLUQ, je retiendrai deux engagements qui représentent bien son style. Comme beaucoup de Grenoblois, nous étions agacés par le fait que, dès qu’il s’agissait des dépenses et des recettes de la Ville, nous étions bombardés par des chiffres et des conclusions parfaitement contradictoires : pour la majorité, tout va toujours pour le mieux, tandis que l’opposition ne voit que désastre et supercheries. Nous avons donc lancé un Observatoire des finances municipales qui tentait de trouver les bons chiffres et, surtout, d’offrir, aux citoyens soucieux de se faire un jugement non partisan, des données et des perspectives significatives. C’était plus facile à dire qu’à faire : René s’y est résolument attelé, faisant un travail de bénédictin (tout à la main !), assurant des publications régulières à destination des Unions de quartier, et devenant en quelques années un redoutable expert en comptabilité publique et finances locales.
Son engagement contre un projet municipal de production d’énergie par ‘cogénération’, aux portes de la ville, est encore plus révélateur de son caractère. L’ancien ingénieur qu’il était s’est trouvé, dès le départ, en désaccord avec cette opération Isergie ; il a donc simultanément soumis ses critiques aux responsables et mis au travail une Commission du CLUQ. Ce fut le combat du pot de terre contre le pot de fer, mais René le livra jusqu’au bout, n’hésitant pas à mettre ainsi en péril les relations d’estime de beaucoup d’élus à son égard. Avait-il tort, avait-il raison ? ni alors au CLUQ, ni encore aujourd’hui à Grenoble, nul ne le sait. Je crois que si, un jour, une thèse de science économique ou de politique publique ou d’écologie essayait de donner une réponse, René Larvaron serait content, car son esprit scientifique le portait à savoir, et non pas à triompher ; et son esprit de démocrate admettait que l’essentiel pour tous est de comprendre pourquoi et comment on a pu se tromper. Et éviter de recommencer.
Jean TOURNON
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